Click here to read the interview in English
Ayant été récemment aux avant-postes de la lutte contre la pandémie de COVID-19, l’eurodéputée Chrysoula Zacharopoulou (Renew Europe) a vécu la crise et ses conséquences de près. Lorsqu’on lui demande pourquoi elle a proposé son aide au moment où la pandémie faisait rage en Europe, elle répond qu’être médecin est une vocation, et non un simple métier.
«Pour moi, proposer mon aide allait de soi, je ne me voyais pas rester à la maison à regarder le journal télévisé. Je suis retournée à l’hôpital militaire Bégin, à Paris, où je travaille d’habitude comme chirurgienne-gynécologue, et on m’a affectée au poste d’accueil».
«Quand des patients symptomatiques arrivaient, il fallait les examiner pour déterminer s’ils devaient être testés et gardés à l’hôpital. Être en première ligne avec les collègues, c’était un bel exemple de travail d’équipe : cela nous a donné un sentiment fort de devoir, la volonté de riposter et de remplir notre mission. Il n’y avait pas de place pour la peur».
RELATED CONTENT
Tout en soulignant l’importance de combattre la crise sanitaire actuelle et ses répercussions économiques et sociales, Zacharopoulou ajoute qu’il nous faut relever d’autres défis sanitaires urgents, tels que le vieillissement de la population conjugué à un faible taux de natalité, les maladies neurodégénératives, l’inclusion des personnes en situation de handicap physique et mental, la santé mentale ou encore le cancer.
Zacharopoulou explique que ces questions de santé publique sont débattues et traitées par la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen, laquelle se penche sur de nombreuses problématiques vitales et complexes, telles que le Pacte vert européen (le «Green Deal»), la biodiversité et la sécurité des aliments.
«Si nous voulons vivre dans un monde meilleur, il faut que les femmes et les jeunes filles soient instruites, qu’elles puissent disposer de leur corps et qu’elles soient des citoyennes à part entière, qu’elles soient les égales des hommes»
«Bien que les questions de santé publique soient évidemment interconnectées, j’ai le sentiment qu’elles sont diluées avec d’autres problématiques. Les défis sanitaires de demain appellent une stratégie européenne, une plus grande anticipation; le cadre institutionnel doit s’emparer de la question. Je propose la création, au Parlement européen, d’une sous-commission ou d’une commission spéciale dédiée, voire la création future d’une commission à part entière. Cela pourrait être le legs de notre neuvième législature. Ayons le courage politique d’agir».
Il y a peu, Zacharopoulou a cosigné avec d’autres eurodéputés une tribune dans laquelle ils épinglent le manque de coordination au niveau européen en termes de mesures de santé publique, et appellent le Parlement européen à mettre la santé et la solidarité au coeur de son agenda en créant une entité dédiée. En quoi donner à une telle entité un rôle de coordination pourrait être utile face aux grands défis de santé publique, comme le coronavirus?
«Je suis entrée en politique pour soutenir le président Macron et sa vision d’une Europe souveraine. Je suis une citoyenne transnationale. Je suis née en Grèce, j’ai vécu 15 ans en Italie et j’ai été élue en France. J’ai tout de suite vu que cette pandémie ferait fi des frontières et des étiquettes politiques, et qu’elle nécessiterait des solutions communes. Pour moi c’est cela, l’Europe. Voilà pourquoi j’ai pris l’initiative de rassembler des députés, qui sont aussi des professionnels de santé, pour porter ce message fort, tous partis confondus».
De toute évidence, la pandémie de COVID-19 a révélé la fragilité de nos sociétés en poussant au bord du gouffre ceux qui étaient déjà en difficulté. Quant à savoir si le monde de l’après-coronavirus sera plus solidaire et inclusif, ou si le fossé sera encore plus béant qu’avant, Zacharopoulou estime que «si l’on se penche sur la décennie passée, on voit bien que nos sociétés occidentales étaient malades bien avant la pandémie».
«Nous vivons en démocratie et avons le devoir de choisir le type de société dans lequel nous voulons vivre. Nous devons poursuivre le combat contre le racisme et contre toutes les formes de discrimination dont nos citoyens sont victimes»
Selon elle, «les symptômes se manifestaient déjà : concentration et redistribution inégales des richesses, obsolescence due à la vélocité du changement technologique, arrivée au pouvoir de mouvements populistes, appauvrissement des classes moyennes. Le coronavirus, un facteur extérieur, a exacerbé ce qui était déjà visible et que plus personne ne peut ignorer, pas même ceux qui choisissaient de regarder ailleurs. Le virus nous a mis face à nos propres faiblesses».
«Nous devons soigner le patient avant qu’il ne soit trop tard. Il va falloir surmonter ces vulnérabilités à l’aide de choix politiques courageux, en vue de créer une société vraiment inclusive et de combattre toutes les formes d’inégalité. Notre objectif doit être la construction d’une économie pérenne, qui soit respectueuse de toutes les femmes et tous les hommes et de notre environnement: c’est notre responsabilité envers les générations futures. Nos concitoyens ne veulent pas juste survivre: ils désirent vivre dignement et s’épanouir. Au bout du compte, la crise du COVID-19 nous oblige à nous regarder dans le miroir: riches et pauvres, Européens et Africains, Français et Grecs, nous sommes tous concernés».
Sur cette question de la construction d’une société plus inclusive, Zacharopoulou souligne que près d’un citoyen européen sur cinq présente une forme de handicap. «Malgré les progrès accomplis, j’ai le sentiment que la vision qu’ont les Européens des personnes en situation de handicap doit encore changer. Bon nombre de nos concitoyens en situation de handicap rencontrent des difficultés dans l’accès à l’éducation, à l’emploi ou dans l’accessibilité au quotidien. Ils subissent des discriminations et peinent à conserver leur autonomie et à s’intégrer dans la société».
«Nous avons pourtant une feuille de route censée nous aider à mieux intégrer les personnes en situation de handicap: l’Union européenne et tous les États membres ont ratifié la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, mais elles restent délaissées. La crise du coronavirus l’a bien montré: elles ont été confrontées à des défis de taille, tel que l’accès aux emplois numériques, et ont parfois vu leurs droits bafoués, avec des interruptions des services d’accompagnement, de soins et de prise en charge».
Selon Zacharopoulou, nous devons accepter la diversité humaine et permettre à chacun de s’épanouir pleinement au profit de la société, sur un pied d’égalité. «C’est pourquoi, en tant que vice-présidente de l’Intergroupe sur le handicap du Parlement européen, en partenariat avec mes collègues et avec le Forum européen des personnes handicapées, nous voulons défendre les droits des personnes en situation de handicap en Europe et à travers le monde. Il est temps que la législation applique leur slogan: ‘Rien sur nous sans nous’».
«Les défis sanitaires de demain appellent une stratégie européenne et une plus grande prévoyance; le cadre institutionnel doit s’emparer de la question. Je propose la création, au Parlement européen, d’une sous-commission ou d’une commission spéciale dédiée, voire la création future d’une commission à part entière. Cela pourrait être l’héritage de notre neuvième législature. Ayons le courage politique d’agir»
Zacharopoulou, qui est aussi vice-présidente de la Commission du développement du Parlement européen, affirme que nous n’avons pas encore conscience de la véritable ampleur de la crise du coronavirus dans les pays africains, et que l’Europe doit donc continuer à leur apporter un soutien de longue durée.
«L’UE est intervenue rapidement pour aider les pays les plus vulnérables, notamment en Afrique. Elle a très vite lancé une riposte mondiale en vue d’aider ses pays partenaires à combattre la pandémie et ses répercussions sur les populations et les économies. De plus, la Commission européenne a enclenché un processus international de promesse de dons, afin d’améliorer l’accès universel aux vaccins et aux traitements et de faire en sorte que personne ne soit laissé pour compte. Cela a d’ores et déjà permis de recueillir 9,8 milliards d’euros. L’Union européenne, ses États membres et leurs partenaires internationaux doivent continuer à coordonner leurs actions de terrain, en vue d’apporter à nos partenaires le soutien adéquat dont ils ont besoin».
Zacharopoulou, qui est également rapporteure pour la Stratégie Afrique-UE, estime que le COVID-19 a mis au jour les liens forts qui nous unissent. «Face à des défis communs, le multilatéralisme et la solidarité internationale sont les seuls moyens d’avancer. Certes, l’Afrique est de plus en plus en mesure de diversifier ses partenariats, mais si j’en juge par mes échanges avec nos partenaires africains, l’Europe reste leur partenaire privilégié. L’Afrique est plus que jamais notre meilleure alliée dans le monde plein d’incertitudes de l’après-COVID-19».
«L’année 2020 doit nous permettre de repenser notre relation et d’enraciner le concept de ‘partenaires d’égal à égal’. Pour cela, il nous faut avant tout porter un regard neuf sur l’Afrique. Nos continents ont des intérêts communs, nous avons de grands projets à bâtir ensemble. Il est temps que les Européens perçoivent l’énergie et l’ambition fabuleuses de l’Afrique. Nous devons passer outre les discours sur les migrations, aller au-delà du concept de ‘donateurbénéficiaire’».
Zacharopoulou est persuadée que le meilleur moyen d’y parvenir est de développer les contacts entre Africains et Européens. «Nous devons renforcer nos liens, à l’échelle institutionnelle bien sûr, mais aussi au niveau des personnes, étudiants comme scientifiques, artistes comme entrepreneurs. Ce rapprochement des continents doit stimuler les contacts interpersonnels, et ainsi contribuer à une meilleure compréhension mutuelle et à davantage de partages d’expériences. C’est une condition essentielle pour l’établissement d’un partenariat d’égal à égal».
«Il nous faut avant tout porter un regard neuf sur l’Afrique. Nos continents ont des intérêts communs, nous avons de grands projets à bâtir ensemble. Il est temps que les Européens perçoivent l’énergie et l’ambition fabuleuses de l’Afrique: nous devons passer outre les discours sur les migrations, aller au-delà du concept de ‘donateur-bénéficiaire’»
Interrogée sur la récente mort par asphyxie de George Floyd aux États-Unis, au cours de son interpellation par la police de Minneapolis, Zacharopoulou se dit «très affectée et choquée par ce meurtre, comme chacun de nous je pense». L’escalade des tensions qui a suivi la mort de George Floyd a débouché sur des manifestations dans le monde entier.
«Cette indignation, c’est un appel à plus de justice et de tolérance dans la société américaine, avec son histoire et ses inégalités particulières, mais aussi dans le reste du monde. Je pense que cela va servir de tremplin à une prise de conscience globale du racisme structurel et de l’extrême violence qui en découle. De nos jours, les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle primordial dans la diffusion de ces messages et ces luttes; je les vois comme des vecteurs de cette prise de conscience globale».
«À l’approche des élections présidentielles aux États-Unis, j’espère que cet événement entraînera également un sursaut citoyen dans les urnes. Nous vivons en démocratie et avons le devoir de choisir le type de société dans lequel nous voulons vivre. Nous devons poursuivre le combat contre le racisme et contre toutes les formes de discrimination dont nos citoyens sont victimes: couleur de peau, genre, religion, handicap, appartenance ethnique et orientation sexuelle. Ce sont les valeurs fondatrices de l’Europe, et nous devons tous nous engager à les défendre».
Sur la question des femmes, que la pandémie de coronavirus a touchées de manière disproportionnée, Zacharopoulou affirme que la défense des droits des femmes n’est pas une question du monde d’avant ou d’après le COVID-19, mais que c’est un combat permanent. «Je me suis toujours battue pour les droits des femmes et des filles, que ce soit dans ma carrière de gynécologue ou en tant que militante. J’ai par exemple cofondé une association en France pour sensibiliser à l’endométriose et améliorer la prise en charge des patientes qui en souffrent. Si nous voulons vivre dans un monde meilleur, il faut que les femmes et les jeunes filles soient instruites, qu’elles puissent disposer de leur corps et qu’elles soient des citoyennes à part entière, qu’elles soient les égales des hommes».
Zacharopoulou souligne que la crise du coronavirus a révélé un paradoxe de taille. «D’un côté, les femmes sont essentielles à la résilience de nos sociétés car ce sont elles qui, majoritairement, exercent les métiers du soin et de l’accompagnement, comme infirmière, soignante et enseignante. D’un autre côté, elles sont également les plus vulnérables. Dans certains pays, comme la Pologne et la Hongrie, les responsables politiques ont imposé leurs mesures rétrogrades pour les droits des femmes pendant le confinement, lorsque la population ne pouvait pas manifester dans les rues. De plus, nous avons assisté à une forte hausse des violences domestiques à l’égard des femmes, à travers l’Europe comme dans le reste du monde».
«L’objectif de l’égalité des genres ne peut être secondaire: les questions de genre doivent être intégrées à toutes nos politiques. Ce doit être une priorité politique, il faut qu’il y ait une volonté de porter nos valeurs européennes. Lorsqu’elle a été élue à la présidence de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a pris des engagements forts, et le Parlement européen veillera à ce qu’elle les honore».
Zacharopoulou est-elle satisfaite de la réponse et de la mobilisation de l’Europe face à la pandémie, et pense-t-elle que l’Union européenne sera mieux préparée pour surmonter les crises sanitaires de demain? «Au début, j’étais horrifiée par le silence de l’Europe face à la situation en Italie. Toutefois, j’ai pu constater depuis le début de cette crise que tous les citoyens se sont tournés vers l’Europe pour lui demander son aide. J’y vois un réel message d’espoir pour l’avenir de l’Europe, car les citoyens ont compris que la solution à ce défi mondial sans précédent passait forcément par une réponse européenne».
«La crise actuelle nous a donc montré combien la coopération et la coordination sont importantes, et combien la solidarité est précieuse. Le temps d’une union politique est venu. À mon sens, l’Europe a apporté une réponse collective efficace et s’est montrée déterminée à consolider notre politique de santé publique en créant le mécanisme RescUE, en proposant un plan européen ambitieux de relance économique assorti d’un nouveau programme de santé, EU4Health, avec un budget de 9,37 milliards d’euros».
Jugeant nécessaire une Europe plus souveraine pour relever les défis mondiaux, dans un contexte de crise du système multilatéral, elle ajoute: «Une Europe de la santé fait partie intégrante de ce projet. Nous devons renforcer la coordination entre les agences européennes de santé, relocaliser la production d’équipements médicaux essentiels et promouvoir la coopération dans la recherche en vue de mettre au point de nouveaux traitements et/ ou des vaccins, à commencer par le coronavirus. D’autres défis de santé publique surgiront dans les années à venir. Ayons le courage d’agir».